Dix-huit ans se sont écoulés depuis que l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones a présenté une recommandation au Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) pour qu’il observe les spécificités des Femmes autochtones.
Nous avons travaillé à tous les niveaux depuis 2004, du local à l’international, pour en arriver à la 82e séance du Comité de la CEDEF à Genève en 2022. Nous avons survécu à une pandémie et aux adversités d’un système mondialisé pour dialoguer avec le Comité spécialisé de la CEDEF et faire la première lecture de l’ébauche de la Recommandation 39 qui inclut nos contributions.
Le processus mené par le mouvement des Femmes autochtones auprès de la CEDEF représente un exemple de comment mener des consultations et rédiger une recommandation pour inclure la réalité et les voix des Femmes autochtones dans le monde. Ce sont 30 leaders Femmes autochtones, représentantes des sept régions socioculturelles du monde, qui se sont rendues jusqu’au cœur du système des Nations Unies, à Genève, avec la proposition de pouvoir bénéficier d’une vie sans violence ni discrimination.
La recommandation 39 est une proposition universelle, car elle engage l’humanité tout entière. Elle couvre des sujets comme les violences basées sur le genre contre les Femmes et les Filles autochtones, les changements climatiques, la pollution de l’eau, de la terre et de l’air, l’énergie durable et propre, l’alimentation, l’égalité des genres, les enjeux de migration, les conflits armés, la santé et l’éducation, entre autres.
La stratégie de travail au sein de cet espace a commencé par une réunion de coordination de la délégation. Nous avons discuté et défini les questions clés à aborder avec le Comité spécialisé de la CEDEF.
« Pour comprendre l’enjeu des droits des Femmes autochtones, il faut d’abord changer de peau. Il nous faut laisser derrière ce que nous avons appris à l’école et dans les médias pour réapprendre où va le monde », explique Gladys Acosta, présidente du Comité de la CEDEF, soulignant que c’est pour donner réponse à une dette historique envers nous que le Comité s’est engagé à reconnaître les contributions des Femmes autochtones et à adopter la Recommandation 39 en octobre 2022.
« La recommandation doit être interprétée à la lumière de la vision du monde et de la spiritualité des Peuples autochtones. Elle a été rédigée par des Femmes autochtones pour la reconnaissance à l’ONU de leurs droits individuels et collectifs. » Gladys Acosta, présidente du Comité de la CEDAW |
Pour que les Femmes autochtones puissent vivre dans la dignité et sans discrimination, il est important de générer des synergies, affirme Victoria Tauli Corpuz, du peuple Igorot des Philippines, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones de 2014 à 2020. Pour y arriver, il est important d’établir des dialogues entre les gouvernements, les entreprises, la population générale, les organisations non gouvernementales et les établissements d’enseignement.
Le dialogue mené entre les Femmes autochtones et les experts et expertes du Comité a porté sur la reconnaissance des deux parties, réunissant les contributions de toutes les personnes impliquées.
La recommandation générale est vue d’un bon œil dans la région samie, qui comprend la Suède, la Norvège, la Finlande et la Russie. Ragnhild Marit Sara, Samie de Norvège, explique qu’elle veille sur la terre en contribuant à une prise de conscience pour mettre fin aux investissements pour l’extraction de minéraux et l’énergie éolienne. Ces projets menacent les droits fonciers et la culture des Samis, car ils ont un impact sur les pâturages des rennes.
Alicia Limtiaco, femme chamoru de Guam, a invité les personnes présentes à soutenir cette recommandation afin que les gouvernements libèrent des fonds pour la mise en place de politiques et de programmes publics pour faire face à la crise climatique, car dès 2040 les Femmes autochtones insulaires et leurs familles seront parmi les premières réfugiées climatiques en raison de la montée des eaux.
Cette Recommandation aura un impact très important sur le vécu des jeunes autochtones du monde entier, car la traite et les violences sont liées à l’exploitation et à l’extractivisme. Les groupes armés forment des alliances avec les gouvernements et les forces publiques, a déclaré Lizbeidy Monterrosa de la Colombie.
Esupat Ngulupa Laizer, Maasaïe de Tanzanie, convient que la Recommandation protégera les Femmes autochtones d’Afrique contre les mutilations génitales. Les jeunes femmes de 12 à 15 ans souffrent de graves dommages à leur santé mentale et physique en raison de cette pratique.
D’après Lucy Mulenkei, Maasaïe du Kenya, vice-présidente du FIMI et directrice générale du réseau Indigenous Information Network, la Recommandation générale ouvrira la porte à la reconnaissance des Peuples autochtones suivant le principe d’autodétermination, étant donné que de nombreux États membres ne reconnaissent pas les Peuples autochtones en Afrique.
Comme l’explique l’ambassadeur des Pays-Bas Paul Bekkers, des actions doivent être menées autour des trois axes suivants pour arriver à mettre en œuvre la Recommandation : 1. Politiques féministes 2. Financement pour créer des mouvements forts. 3. Volonté diplomatique de promouvoir un programme d’égalité de genre, avec la possibilité d’y inclure différentes coalitions.
« Le principe d’indivisibilité des droits est fondamental. Toute violence affecte les Filles et les Femmes autochtones. Nous avons de nombreuses recommandations, mais nous continuons de suivre de près les actions en attente des différents pays, car nous savons bien que le défi demeure la mise en œuvre effective », explique Tarcila Rivera Zea, femme quechua présidente du Forum international des Femmes autochtones (FIMI).
Avec les réalisations de la 82e séance de la CEDEF, nous faisons honneur aux luttes, aux principes et à tout le chemin parcouru par les Femmes autochtones qui nous ont précédées dans leur quête d’égalité. Aujourd’hui, c’est à nous de prendre le relais sur la voie qui mène au bien vivre de nos peuples et de relever le défi de la mise en œuvre de la Recommandation.