De leur terre à leur propre corps : les différentes formes de violence et de discrimination subies par les Femmes autochtones

Les Femmes autochtones sont confrontées à différentes formes de violence issues de la spoliation et de la dégradation du tissu social de leurs communautés. La solution apportée par la Recommandation générale de la CEDEF (CEDAW en anglais) sur les droits des Femmes et des Filles autochtones a un caractère global, transversal et intersectionnel.

Dix années ont été nécessaires à Helena Steenkamp pour trouver le courage de reconnaître qu’elle avait été victime d’un viol au sein de sa communauté. Son agresseur venait de l’extérieur de la communauté pour travailler, et il a fallu six ans avant qu’il ne soit poursuivi en justice. Dans la communauté autochtone ‡Khomani San, qui vit sur les terres désertiques du Kalahari, à la frontière entre l’Afrique du Sud et le Botswana, la situation d’Helena n’est pas une exception mais la règle. La dégradation du tissu social, générée par des expulsions récurrentes et des années de spoliation des terres ancestrales, donne lieu à un contexte violent dont les Femmes et les Filles autochtones font les frais dans leur propre chair. Les femmes San subissent différentes formes de discrimination et de violence au sein et en dehors de leurs communautés, exercées par des hommes qui souhaitent les priver de voix et de pouvoir. Mais face à des agresseurs omniprésents jusque chez elle, comment une femme peut-elle se protéger ?

Au sein de la communauté, ce sont la peur de reconnaître publiquement d’avoir été abusée sexuellement et la crainte de perdre la sécurité alimentaire assurée par le mari qui empêchent les femmes de dénoncer les affaires aux autorités. « Pour pouvoir aborder ce sujet, un processus d’introspection s’impose, et il est nécessaire de s’armer de courage », indique Helena. « Cela m’a pris beaucoup de temps de redevenir moi-même et de prendre confiance en moi », ajoute-t-elle. Elle a réussi à surmonter ce traumatisme en puisant ses forces dans la volonté d’éveiller sa communauté et de s’imposer dans un espace dominé par les hommes. « Si nous, les femmes, ne prenons aucune initiative, les choses ne changeront pas d’un pouce », conclut-elle.

La Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones garantit un cadre légal dont on peut se saisir face à l’inaction des États, ainsi qu’observé en Afrique du Sud. Néanmoins, Helena Steenkamp reconnaît que, dans un premier temps, les femmes doivent devenir plus autonomes, connaître leurs droits et apprendre à se servir de ces instruments internationaux pour susciter un changement réel, qui mette fin à la discrimination et aux violences exercées à l’encontre des Femmes autochtones.

Le peuple San : une histoire de spoliation territoriale et culturelle

Le peuple San, dont fait partie Helena, provient des communautés ancestrales de chasseurs-cueilleurs réputées pour avoir été les premières à s’établir à la pointe du continent africain, également connues sous le nom de Bushmen (hommes des arbustes). En raison de la migration d’autres peuples tels que les Khoïkhoï ou les Bantou, le peuple San a été repoussé vers des contrées plus reculées et désertiques, bien que cette situation ait donné lieu à certains mélanges entre ces différentes communautés.

La colonisation a engendré la spoliation des terres qui abritaient le peuple San et le pillage des ressources naturelles qui assuraient leur subsistance. Cette situation a aiguisé la concurrence et les rivalités au sein même des communautés autochtones, faisant ainsi voler en éclat le tissu social qui liait le peuple San, ses modes de vie et son identité culturelle. Seule une poignée de communautés ont survécu, et le peuple San a failli ne pas en réchapper.

Les violences sont le fruit des blessures du passé

De nos jours, les communautés San ont perdu leur nom d’origine et il ne reste plus que cinq individus à parler la langue de leurs ancêtres, le N|u. Helena Steenkamp est allée à leur rencontre à l’occasion de la réalisation du documentaire Lost Tongues (Langues perdues). En 1999, les ‡Khomani San sont parvenus à récupérer une partie du territoire dont ils avaient été privés, après un long combat et grâce au nouveau cadre juridique établi par le gouvernement de l’après-apartheid. Néanmoins, la restitution de ce territoire n’a pas donné lieu au changement que chacun espérait.

« Dans un premier temps, nous étions tous heureux d’avoir récupéré notre terre ancestrale. Pour ma part, j’ai quitté mon travail au Cap pour venir m’installer ici, à Andriesvale, avec l’ambition de faire bouger les choses au sein de ma communauté. Mais au cours des 10 dernières années, tout est allé de mal en pis. Dénués de connaissances en matière agricole, nous n’avons pas su travailler la terre », raconte Helena. En raison du fort taux de chômage, du faible niveau d’éducation et de l’incapacité à générer de nouvelles activités économiques, de nombreuses personnes ont sombré dans l’alcoolisme ou la toxicomanie. Certains vont même jusqu’à évoquer l’apartheid comme une période faste durant laquelle il y avait du travail dans les exploitations des blancs et durant laquelle les parents pouvaient emmener leurs enfants à l’école.

Helena a grandi dans un milieu où ses parents se disputaient sans cesse, où la consommation de drogues et d’alcool était très importante et où ses amies connaissaient des grossesses précoces. Ce cycle de la violence s’est perpétué pendant des générations. Afin de tenter d’inverser cette tendance décourageante, Helena et d’autres membres de sa communauté ont réalisé un projet visuel dont le but est de démonter la vision paternaliste et colonialiste que le monde a des communautés autochtones. Conseillée par le Market Photo Workshop, elle a brossé le portrait de jeunes femmes enceintes. « Les filles et les mères ont eu des réactions très positives ; je ne m’y attendais pas. Notre communauté est toujours perçue depuis l’extérieur. Nous recevons en permanence la visite de personnes venues faire des recherches sur nous et nous photographier. C’est la première fois que le récit provenait de l’intérieur de notre communauté », explique-t-elle.

La représentation des communautés autochtones en tant que forme de violence

La dépossession d’identité dont ont été victimes les communautés autochtones s’est traditionnellement accompagnée d’images les diabolisant, les déshumanisant ou les rendant exotiques. Les femmes d’origine caribéenne sont certainement les corps féminins les plus sexualisés de l’histoire. De nos jours, des pays catholiques — héritage du colonialisme missionnaire — interdisent aux femmes de recourir à l’avortement même en cas de malformation ou de risque pour la santé de la mère ; tandis que les chansons les plus en vogue à la radio tendent à chosifier et à sexualiser les femmes.

« L’hypersexualisation de la femme Taïna est une insulte et une menace faite à nos vies », déclare avec fermeté Tai Pelli, dirigeante autochtone de Taïno de Borikén, qui correspond au nom originel de Porto Rico. « Ils s’emparent de symboles que nous considérons sacrés et ils les détournent de façon vulgaire en véhiculant le même sempiternel message qui assimile les femmes caribéennes à des objets de plaisir dont on peut abuser », dénonce-t-elle avec une détermination intraitable.

La colonisation a mis fin à la structure matrilinéaire des peuples Taïno qui octroyait aux femmes une position respectable et l’égalité entre les sexes. « Désormais, les femmes s’inscrivent de nouveau dans cette direction”, ajoute Tai, en évoquant les tribunes qui voient progressivement le jour à l’échelle mondiale pour promouvoir l’égalité des sexes. « Pour y parvenir, nous devons faire entendre nos voix, renouer avec nos racines et valeurs autochtones et fonder un modèle qui rendra celui-ci obsolète », conclut-elle.

Une violence transversale

Contrairement au peuple San, les communautés Taïna, disséminées à travers les grandes et les petites Antilles, n’ont pas récupéré les terres et territoires dont elles avaient été dépossédées par des États impérialistes. Porto Rico constitue l’un des exemples les plus emblématiques puisqu’il demeure encore un « État libre associé » dépendant des États-Unis. « Nous sommes le peuple qui a la plus longue expérience de colonisation, mais nous n’avons pas perdu pour autant notre lien avec la terre », informe Tai.
Certains disent que les Peuples autochtones ne sont personne sans terre. S’il est indéniable que la terre est le fondement de l’identité autochtone – et que les expropriations dont sont victimes les Peuples autochtones engendrent une infinité de violences qui touchent de plein fouet les Femmes et les Filles autochtones –, Tai Pelli défend l’identité et l’organisation communautaire même lorsque les communautés ne disposent plus de leur propre terre. « Bien que nous ne possédions plus de terre, nous continuons à l’aimer et à la défendre contre les violences qu’elle subit. Il faut prendre conscience de cette responsabilité; nous sommes la terre! », conclut-elle. C’est précisément de cette violence transversale, allant de la terre au propre corps, dont tient compte la Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones afin d’y mettre un terme.

Les Femmes autochtones font partie intégrante de la solution contre le changement climatique

Bien que nous ayons été traditionnellement écartées des espaces de décisions, nos contributions en tant que gardiennes de la biodiversité doivent être intégrées au sein de l’action climatique. La Recommandation générale du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF, ou CEDAW en anglais) relative aux droits des Femmes et des Filles autochtones est un instrument essentiel pour parvenir à cette fin aux niveaux national et international.

 

La fonte des glaciers de l’Himalaya s’accompagne de pluies torrentielles et d’inondations. L’élévation du niveau de la mer ronge les îles du Pacifique. La sécheresse fissure la terre et assèche les potagers de l’Afrique de l’Est ; les incendies et la déforestation ravagent les arbres d’Amazonie. La crise climatique nous affecte toutes et tous, bien que de façon différente.

 

Nous, les Femmes et Filles autochtones, dépendons de la Terre-Mère pour survivre. C’est elle qui nous prodigue les aliments pour nourrir et soigner nos familles, les matériaux pour construire nos maisons et l’eau pour nous désaltérer et nous laver. Par ailleurs, certaines d’entre nous vivons dans des territoires particulièrement exposés aux phénomènes climatiques extrêmes. « Notre fardeau est multiple, mais notre soutien est crucial », souligne Victoria Tauli-Corpuz de la communauté Kankana-ey Igorot des Philippines et ancienne Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones.

 

Cependant, nous, les Femmes autochtones, avons été traditionnellement écartées des espaces de décision et de la participation aux politiques visant à définir des solutions, établir des stratégies et réunir des fonds pour ralentir le changement climatique. « Bien qu’il y ait eu des avancées ces 40 dernières années, il est nécessaire que nous soyons plus présentes dans les instances internationales pour que nos particularités soient reconnues et que nos compétences soient considérées comme partie intégrante de la solution », réclame Tarcila Rivera Zea, activiste Quechua et présidente du FIMI.

 

Les Peuples autochtones protègent 80 % de la biodiversité de la planète

 

Selon l’ONU, les Peuples autochtones sont les garants de la conservation de 80 % de la biodiversité de la planète et beaucoup de communautés vivent dans des pays dotés d’une très grande diversité. Grâce aux liens spirituels et culturels qu’ils entretiennent avec la terre, les Peuples autochtones sont également les gardiens de la nature et font preuve d’un leadership collectif pour assurer sa protection et sa défense.

 

Dans ce contexte, nous, les Femmes autochtones, jouons un rôle essentiel en tant que gardiennes et praticiennes des savoirs ancestraux, et en tant que sources de nouvelles propositions de durabilité environnementale. « Nous préservons les semences autochtones, la biodiversité, la sécurité alimentaire et le bien-être de nos communautés », explique Naw Ei Min, femme autochtone du Myanmar et membre du comité directeur d’Asian Indigenous Peoples Pact (AIPP).

L’impact du changement climatique et les atteintes à l’environnement dans les territoires autochtones

 

Nous, les Femmes et les Peuples autochtones, devons non seulement faire face aux effets du changement climatique mais également à l’expropriation et à l’exploitation de nos terres et ressources naturelles, de la part de plus en plus de compagnies de l’industrie extractive, sous le prétexte du développement économique.

 

À titre d’exemple, les communautés autochtones du Népal – le dixième pays au monde le plus touché par le changement climatique ces 20 dernières années – sont confrontées à la fonte des glaces de l’Himalaya, qui se produit à un rythme sans précédent. Ce phénomène provoque à son tour un dérèglement dans le cycle des pluies. « Nous ne distinguons plus l’été de l’hiver. Désormais, nous subissons la mousson toute l’année durant, ce qui provoque de graves inondations sur les berges du fleuve où sont établies les communautés autochtones », signale Pratima Gurung, universitaire et militante autochtone du Népal spécialiste des droits fondamentaux des Peuples autochtones, des questions de genre et de handicap, et secrétaire générale de l’Association nationale des Femmes autochtones handicapées du Népal (NIDWAN) et du Réseau mondial des personnes autochtones handicapées (IPWDGN).

 

En outre, l’expropriation des autochtones pour construire des centrales hydroélectriques sur leurs terres et le recours intensif aux pesticides ont contribué à dégrader la quantité et la qualité de l’eau. Cela a des conséquences dévastatrices sur les Femmes autochtones et en particulier sur les Femmes autochtones handicapées. « Le manque d’aliments nutritifs et d’eau potable a des répercussions sur notre santé et notre hygiène. Cela se traduit par une prévalence accrue d’individus souffrant de handicaps divers au sein de nos communautés », ajoute Pratima Gurung. Pour cette raison, elle appelle instamment à prendre en compte non seulement les Femmes autochtones mais aussi en particulier les Femmes autochtones handicapées et à les mentionner expressément dans les accords ayant trait à l’action climatique.

 

Les apprentissages et les bonnes pratiques en faveur du développement durable

 

En Aotearoa (Nouvelle-Zélande) également, les communautés autochtones sont confrontées aux effets des changements climatiques et à la déforestation, qui mettent en péril l’accès à l’eau et aux autres ressources naturelles. Pour relever ces défis, les communautés autochtones d’Aotearoa ont conçu des livres et autres outils numériques à partir des savoirs écologiques traditionnels des Maoris et d’indicateurs de santé bioculturelle, avec l’aide de Tui Shortland, directrice de Awotea Organics, membre du comité directeur de Cultural Survival et spécialiste des connaissances traditionnelles en matière de biodiversité. Les Maoris entretiennent un lien privilégié avec l’eau dès leur naissance. Pour eux, l’eau est un être vivant issu de l’union entre Père-Ciel et Terre-Mère. Grâce à leur combat pour leurs droits, les Maoris ont obtenu que les politiques régionales relatives à la gestion de l’eau tiennent compte de leur cosmovision autochtone. Ces politiques sont désormais plus respectueuses des cycles naturels de l’eau. Cela contribue à protéger l’environnement et la biodiversité des écosystèmes.

 

Par ailleurs, de l’Afrique à l’Arctique, les Femmes autochtones sont pionnières dans le domaine de l’agriculture biologique et de la conservation de l’environnement. À titre d’exemple, Molly Bella Akelo, directrice de Fountain of Life Uganda, et ses compagnes autochtones ont instauré l’utilisation de pesticides et d’engrais biologiques, des méthodes d’irrigation et la culture d’arbres autochtones pour lutter contre la sécheresse.

 

Recommandations pour inclure les Femmes autochtones dans l’action climatique et favoriser leur pleine participation

 

Nous, les Femmes autochtones, demandons instamment notre inclusion et notre pleine participation au processus de prise de décisions et d’élaboration de politiques publiques en faveur de l’action climatique. À cette fin, les Femmes autochtones doivent pouvoir renforcer leur présence dans la Commission de la condition de la femme (CSW66), la session 2022 étant consacrée au changement climatique, ainsi que dans d’autres instances telles que la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique. C‘est précisément au sein de ces instances que nous devons être considérées comme des gardiennes de la biodiversité de la planète et que nos contributions et nos savoirs doivent faire partie intégrante de la solution.

 

Parallèlement, il est essentiel que le financement prévu par l’Accord de Paris pour lutter contre le changement climatique parvienne aux Femmes autochtones et à leurs communautés puisque nous faisons face à de nombreux obstacles pour obtenir un soutien financier. Parmi ces obstacles figurent l’utilisation des langues colonialistes et des systèmes bancaires occidentaux, des exigences impossibles à satisfaire pour faire participer nos organisations et mettre en œuvre des programmes, et le manque d’accompagnement.

 

Pour l’ensemble de ces raisons, nous, les Femmes autochtones, nous battons depuis des années pour faire reconnaître nos droits tant sur le plan international que national. Nous nous trouvons désormais dans la dernière ligne droite d’un cheminement collectif dont le tournant décisif réside dans l’élaboration d’une Recommandation générale du Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF/CEDAW) sur les droits des Femmes et des Filles autochtones. Dans cette recommandation, il sera fondamental d’introduire le principe de justice environnementale afin de garantir nos droits à la terre, aux territoires et aux ressources naturelles. Cela contraindra les États signataires à respecter le principe de consentement préalable, libre et éclairé et à nous prendre en compte dans leurs politiques nationales pour une action publique efficace. « Si on nous laissait occuper la place qui nous revient, le monde serait différent et doté d’une vision élargie, collective, circulaire et diverse », insiste Teresa Zapeta Mendoza du peuple Maya K’iche’ du Guatemala et directrice générale du FIMI.

 

C’est uniquement grâce aux contributions des Peuples et des Femmes autochtones que nous serons en mesure de concevoir un autre monde. Un monde où les forêts et l’eau seraient préservés et où la Terre-Mère serait respectée, un monde où la solidarité l’emporterait sur l’enrichissement personnel, où la communauté l’emporterait sur l’individu, et où la diversité l’emporterait sur l’assimilation culturelle, génératrice de sociétés faussement homogènes.

 

 

Quatre éléments clés pour tirer parti de la CEDEF en tant que Femmes autochtones

Comprendre la CEDEF (CEDAW en anglais), faire jouer l’influence des organisations de Femmes autochtones dans les rapports des États parties et établir des rapports complémentaires, intervenir lors des sessions et promouvoir la Recommandation n39 sur les droits des Femmes et des Filles autochtones : voici quatre étapes fondamentales pour nous approprier cet instrument de changement.

La discrimination gagne du terrain sur nos corps, nos êtres chers et nos terres. Cependant, nous, les Femmes et les Filles autochtones, nous unissons pour lui faire face. Nous avons recours à nos savoirs ancestraux et nous devenons des agentes du changement. Nous luttons contre la violence sexiste ; nous soignons les troubles physiques et spirituels ; nous produisons des aliments et nous réinvestissons la médecine traditionnelle ; nous protégeons la Terre-Mère, les animaux et les plantes car ce sont eux qui nous permettent de vivre en harmonie. Cependant, bien souvent, les savoirs ancestraux et la lutte collective ont besoin d’être encadrés par des instruments de droit internationaux sur lesquels s’appuyer. La CEDEF, dont le respect est obligatoire pour les États l’ayant ratifiée, est un instrument crucial car il vise à ce que les femmes et les filles puissent pleinement exercer leurs droits et leurs libertés fondamentales.

Comment les Femmes et les Filles autochtones peuvent-elles tirer parti de la CEDEF ? Voici quatre éléments clés pour y parvenir.

 

  1. Comprendre ce qu’est la CEDEF : une convention internationale qui exige le respect des droits des femmes et qui les protège contre la discrimination.

La CEDEF est la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il s’agit du seul traité international contraignant entièrement consacré à la protection des droits des femmes. Le Comité de la CEDEF se compose de 23 expertes indépendantes des régions Amérique, Afrique, Asie, Pacifique, Europe/Asie Centrale et Moyen-Orient/Afrique du Nord. Il est le destinataire de rapports remis par chaque État, ainsi que de communications émanant d’individus ou de groupes, visant à dénoncer des violations systématiques des droits des femmes. En outre, le Comité est habilité à ouvrir des enquêtes, à condition que l’État concerné y consente.

Ce Comité international formule également des recommandations générales dont la législation nationale ou d’autres cadres doivent tenir compte pour garantir le respect des droits des femmes. La Recommandation générale n39, qui est sur le point d’être adoptée, est consacrée aux droits des Femmes et des Filles autochtones.

  1. Se renseigner à l’avance sur les États dont les rapports seront examinés lors de la prochaine session du Comité de la CEDEF et, si notre pays en fait partie, participer à l’élaboration du rapport.

Pour chacune de ses sessions, le Comité de la CEDEF invite habituellement huit États parties. Le Comité incite les États à consulter les organisations non gouvernementales et les associations de femmes pour élaborer leur rapport. Nous, les Femmes et Filles autochtones, pouvons faire pression sur les États, à travers nos organisations, afin que notre situation soit prise en compte dans ces rapports et que des politiques nationales soient mises en œuvre pour garantir le respect de la Convention.

Si nous n’avons pas été prises en considération dans l’élaboration du rapport d’un État, il est possible de rédiger un rapport complémentaire ou parallèle afin de dénoncer les problèmes rencontrés par les Femmes et les Filles autochtones, relatifs au non-respect de la Convention dans la pratique. Il est également possible d’y mentionner des recommandations spécifiques en vue d’obtenir un changement.

  1. Assister à la session à Genève et plaider pour l’inclusion des Femmes autochtones dans les politiques et les programmes.

Le Comité de la CEDEF invite les ONG à s’exprimer oralement lors des séances publiques. C’est une opportunité à saisir pour les Femmes autochtones. Il s’agit de faire pression, d’exercer une influence sur des personnes ayant un pouvoir de décision afin d’intervenir dans les politiques publiques.

Nous, les Femmes autochtones, maîtrisons l’art du plaidoyer. Nos interventions, riches en récits, en images et en expériences, ont généralement beaucoup d’impact sur l’opinion publique dans de nombreux domaines. Le plaidoyer nous permet de passer de la simple dénonciation à une proposition concrète de solution.

En prenant part aux sessions du Comité, nous, les Femmes et les Filles autochtones, informerons les États des manquements à la Convention subis par nos communautés. En outre, nous apporterons des solutions durables pour résoudre ces problèmes.

Lors de ces sessions, nous pouvons souligner combien il est nécessaire d’adopter une Recommandation générale qui exige des États d’inclure des politiques garantissant nos droits fondamentaux, sur le plan individuel et collectif, en tant que Femmes et Filles autochtones.

  1. Être attentives aux prochaines étapes et réunir encore plus de voix pour promouvoir la Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones.

Nous, les Femmes autochtones, avons lutté et luttons encore pour mettre en valeur nos droits de façon individuelle et collective. Nous pensons que nous obtiendrons davantage de résultats en étant informées et unies. Une fois adoptée, la Recommandation deviendra un instrument stratégique au service de nos revendications. Dans cette optique, des organisations et des réseaux régionaux unissent leurs efforts pour la faire connaître à travers la campagne https://cedaw.fimi-iiwf.org.

Participez-y pour promouvoir l’adoption de la Recommandation générale.

Nous ne sommes pas seules : comment se servir de la Recommandation no 39 pour promouvoir la lutte des Femmes autochtones

Il est important de faire connaître la Recommandation sur les droits des Femmes et des Filles autochtones par divers moyens, de la faire valoir auprès des pouvoirs publics et de la prendre en considération pour appréhender aussi bien nos besoins urgents que nos revendications d’origine plus profonde.

 

Nous avons rencontré Gladys Acosta Vargas, la présidente du Comité de la CEDEF (CEDAW en anglais), lors d’un entretien chaleureux et précieux, au sujet de la Recommandation générale sur les droits des Femmes et des Filles autochtones. Gladys, qui est une alliée de longue date du mouvement des Femmes autochtones, a expliqué que cette démarche consiste en une interprétation des articles de la Convention et de leur caractère contraignant. Une fois cette recommandation adoptée, la capacité de dialogue entre le Comité et les États Parties s’en trouvera renforcée, en vue de garantir le respect de leurs obligations internationales envers les communautés autochtones. Dans ce contexte, Gladys a précisé que : « les Recommandations générales ne visent pas à élargir les droits, puisque ceux-ci sont déjà inscrits dans la Convention ; en revanche elles ont vocation à approfondir la manière de les protéger ».

Selon elle, pour qu’une recommandation soit appliquée efficacement, il faut la faire connaître par tous les moyens possibles : des traductions, des codes, des images, des vidéos. Il est important d’en assurer la diffusion auprès des personnes en situation de handicap, qui doivent être informées des avancées relatives aux droits humains. Au cours de l’entretien, elle a souligné qu’il ne revenait pas seulement aux États Parties d’assurer la diffusion des contenus, mais également aux organisations non gouvernementales de la société civile et aux médias, tant privés que publics.

Les États ne doivent pas seulement assurer la protection des Femmes et des Filles autochtones vivant sur leur territoire, mais également celle des femmes qui sont de passage (migration vers un autre pays ou autre motif) puisqu’il s’agit d’un droit.

Selon Gladys Acosta, pour susciter des changements, il faut avoir recours aux différentes instances du pouvoir public. D’une part, au pouvoir exécutif, car c’est là que sont élaborées les politiques publiques dans tous les domaines, et aux pouvoirs législatif et judiciaire qui lui sont complémentaires. D’autre part, aux autorités régionales et municipales, qui sont les responsables directes des changements à instaurer au niveau local.

À titre d’exemple des actions à mener, elle a expliqué qu’en cas d’atteinte aux droits des Femmes autochtones, il fallait invoquer la CEDEF et les articles pertinents de la Recommandation générale, en expliquant ce que vivaient les Femmes autochtones dans leurs démarches quotidiennes et dans leurs luttes. Ainsi, face aux contradictions et aux controverses, même avec des particuliers, l’État garantira le respect de leurs droits.

À propos de ce genre d’actions, Gladys a ajouté : « La Convention devient un instrument de plus en plus puissant, grâce aux luttes des femmes, sa puissance n’émanant pas de lui-même mais des personnes qui l’invoquent pour en faire un instrument de lutte ». Ses règles étant directement applicables, les organismes de protection, notamment les organisations de Femmes autochtones, doivent apprendre à les manier en vue de leurs luttes à plus ou moins court terme.

Selon la présidente du Comité de la CEDEF, l’adoption de cette Recommandation générale revient à solder une partie de la dette que le monde a contractée envers les Femmes et les Filles autochtones, en raison des atrocités qu’elles ont subies.

Cette recommandation qui voit le jour a été élaborée en dépit des difficiles conditions de travail dues à la pandémie. « Le dialogue a débuté en 2017, et nous allons bientôt l’adopter au cours de l’année 2022, car elle apporte une réponse au combat grandissant des Femmes et des Filles autochtones afin d’être plus visibles sur la scène politique internationale », a-t-elle ajouté.

À la fin de l’entretien, Gladys Acosta a souligné que la Recommandation tenait compte du lien à la terre, du respect des êtres humains et d’une forte spiritualité non seulement pour les Peuples autochtones, mais bel et bien pour le monde entier. Ainsi, cet instrument servira également à défendre nos territoires contre la violence et les pillages.

« C’est une chose de se battre en ayant le droit de son côté, c’en est une autre de se lancer à corps perdu contre une injustice » a déclaré Gladys Acosta. Nos voix commencent enfin à être entendues.

Dans leur combat pour la vie, la culture et la souveraineté foncière, les Femmes autochtones sont confrontées à de nombreuses violences.

Bien que le droit à l’autodétermination des Peuples autochtones soit reconnu par l’ONU, les États le bafouent systématiquement. La Recommandation générale de la CEDEF (CEDAW en anglais) sur les droits des Femmes et des Filles autochtones peut devenir l’instrument qui contraindra les États à respecter ce droit.

 

Au matin du 15 mars 2022, Aida Quilcué – dirigeante autochtone du peuple Nasa et sénatrice de la République de Colombie – a été réveillée par une nouvelle tragique qui l’a accablée. Son compagnon de lutte, Miller Correa venait d’être assassiné. Il était conseiller au sein de l’Association des Conseils Municipaux autochtones du Nord du Cauca, organisation politique et sociale réunissant les communautés autochtones de cette région située au sud de la Colombie. « Ils nous exterminent peu à peu. Cela s’inscrit dans la même lignée que les spoliations ancestrales, l’exclusion et l’extermination culturelle que nous subissons en tant que Peuples autochtones. Cette situation nous oblige à nous défendre et à mettre en place des processus d’auto-administration, qui nous permettent actuellement de survivre” explique Aida d’un ton serein, le regard chargé de la souffrance de tout un peuple.

 

De l’autre côté du Pacifique, à Guam – la plus grande île de Micronésie – Terilynne Francisco est la mémoire vive de ses grands-parents Chamorro. Ils ont survécu à l’occupation espagnole, à la Seconde Guerre mondiale, aux camps de concentration japonais et à la reconquête de la part des États-Unis, qui contrôlent encore aujourd’hui l’île. « Nous souffrons d’un traumatisme intergénérationnel ; nos communautés ont été exposées à de nombreuses violences et nos terres à trop de guerres. Nous devons retrouver notre identité culturelle et nos pratiques traditionnelles pour comprendre qui nous sommes et qui nous voulons être », explique Terilynn Francisco, d’une voix douce et déterminée émanant d’un esprit jeune qui aspire au changement.

 

Les Peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils peuvent déterminer librement leur statut politique collectif, leur identité culturelle et leurs moyens de développement économique et social, par le biais de leurs propres institutions. Cependant, dans la plupart des cas, les États portent atteinte à ce droit, qui est pourtant inscrit dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones. Ces atteintes passent par l’interdiction de donner un nom autochtone à une petite fille, les obstacles au développement de systèmes de santé ou d’éducation interculturels, l’usurpation des terres autochtones légalement reconnues ou le non-respect du principe de consentement préalable, libre et éclairé.

 

Afin de mettre un terme à ces violations des droits des Peuples autochtones et de participer activement au développement politique et social de leurs communautés, les Femmes autochtones du monde entier contribuent à l’élaboration d’une Recommandation générale de la CEDEF consacrée aux droits des Femmes et des Filles autochtones. Elle se veut un instrument légalement contraignant qui obligera les États à respecter le droit à l’autodétermination, entre autres.

 

Guam : un peuple dépouillé de son pouvoir et de son identité collective

 

« Nous avons été l’un des premiers Peuples autochtones à être colonisés et l’un des rares à être encore occupés. Pendant des siècles, nous avons été pris au piège des dynamiques de pouvoir des puissances coloniales », explique Terilynn Francisco, membre et fondatrice de l’association des femmes Chamorro Hagan Famalåo’an Guåhan. L’île de Guam demeure sous le contrôle des États-Unis en tant que territoire non incorporé, et ce depuis 1950. Guam fait également partie des 17 territoires non autonomes contrôlés par le Comité spécial de la décolonisation de l’ONU. Bien qu’étant considérés comme citoyens des États-Unis, ses habitants n’ont pas le droit de vote aux élections fédérales ni ne peuvent bénéficier du système public de sécurité sociale, ni décider de leur avenir en tant que peuple. « Nous sommes des citoyens de seconde zone », conclut Teri.

 

Les États-Unis occupent toujours l’île principalement en raison de sa position militaire stratégique dans le Pacifique et l’Asie du Sud-Est. Des bases militaires occupent un tiers des terres ancestrales du peuple Chamorro, en infraction au principe de consentement préalable, sans que les familles n’aient reçu de compensation sous quelque forme que ce soit. En outre, les États-Unis ne cessent de renforcer leur présence militaire. « Notre terre et notre peuple paient un lourd tribut », reconnaît Teri, qui exerce également comme travailleuse sociale et praticienne de santé mentale aux Îles Mariannes.

 

Teri établit un rapport entre cette violence structurelle et les taux particulièrement élevés de violence sexiste, de suicides, d’alcoolisme et de toxicomanie qui affectent les communautés du peuple Chamorro. « La colonisation a mis un terme à nos pratiques de santé et à nos façons de nous lier avec les autres. Nous sommes un peuple dépouillé de son pouvoir et de son identité collective », souligne-t-elle avec tristesse.

 

En 2011, le peuple Chamorro de Guam a souhaité réaliser un referendum non contraignant afin de déterminer son avenir politique. Cependant, au terme d’une procédure de dix ans, le projet de referendum a été rejeté par un tribunal de Guam et par la Cour Suprême des États-Unis, au motif que la tenue de ce referendum serait discriminatoire envers la population non autochtone qui ne pourrait pas voter. « Nous ne pouvons même pas nous concerter entre nous », s’indigne Teri.

 

À la suite de ce revers subi par le peuple Chamorro, Teri et ses compagnes de lutte ont décidé de rétablir l’identité collective et de récupérer les pratiques de santé traditionnelles du peuple Chamorro. « Nous, les Femmes autochtones, sommes les gardiennes de nos familles. Il nous revient de prendre la situation en main pour nous réapproprier notre autonomie en tant que peuple », affirme-t-elle. En dépit du fait que les États-Unis n’aient pas ratifié la CEDEF et que la Recommandation générale sur les droits des Femmes et les Filles autochtones ne pourra donc pas être contraignante pour ce pays, Teri a la conviction que cette recommandation permettra de tisser des alliances et d’accroître la pression internationale sur les États-Unis afin qu’ils reconnaissent le droit à l’autodétermination du peuple Chamorro de Guam.

 

La Colombie : un État qui reconnaît la CEDEF mais qui ne la respecte pas

 

« En Colombie, les règles n’ont jamais été respectées. Nous avons d’abord dû conquérir nos droits, puisque les droits ne se donnent pas mais s’arrachent au prix de luttes. Et désormais, nous devons rester mobilisés pour les mettre en œuvre puisque la guerre continue », explique la sénatrice colombienne Aida Quilcué.

 

Bien que la Constitution politique colombienne de 1991 reconnaisse le droit à l’autodétermination des Peuples autochtones, l’État colombien a systématiquement porté atteinte à ce droit, même dans un contexte post-conflit. À l’issue de 50 années de guerre civile et après la signature des Accords de Paix en 2016, le département du Cauca, la seconde région comptant la plus grande population autochtone, n’a pas encore connu la paix. Pour être un point de passage stratégique de la drogue et un territoire riche en ressources naturelles, cette région connaît encore des niveaux élevés de violence, notamment à l’encontre des communautés autochtones qui protègent le territoire.

 

Selon le rapport de Indepaz, en 2021, 171 leaders, hommes et femmes, ont été assassinés en Colombie, parmi lesquels 55 étaient des autochtones et 31 ont été tués dans le Cauca. Cette tendance est à la hausse depuis 2017, soit un an après la signature des accords. En 2020, pour la deuxième année consécutive, la Colombie a été désignée comme le pays où il est le plus dangereux de défendre les droits humains.

 

Dans un tel contexte, Aida Quilcué estime que la seule solution efficace consiste à remodeler le système de l’intérieur. Même si elle reconnaît que la Recommandation générale de la CEDEF peut inciter l’État colombien à faire respecter ces droits, « il faut désormais changer de gouvernement pour changer les façons de faire », conclut-elle. « Et c’est précisément ce que nous sommes en train de faire », indique-t-elle.

Aida Quilcué est devenue sénatrice après des années de construction d’un processus qui a abouti, en avril 2021, à un soulèvement social et une grève nationale sans précédent pour revendiquer « le droit à la vie ». La mobilisation est passée de la rue aux urnes grâce à une alliance entre les Peuples autochtones et d’autres communautés ayant été traditionnellement exclues. « Voilà pourquoi ils nous tuent, car nous luttons pour que le pays s’éveille et progresse », conclut Aida Quilcué.

Une façon de devenir une dirigeante autochtone : l’expérience de Lea Nicholas-MacKenzie

Lea Nicholas-MacKenzie, connue en tant que « la princesse guerrière », a consacré sa vie à se battre pour les droits des Femmes autochtones tant aux niveaux national qu’international. Elle estime que la Recommandation générale de la CEDEF (CEDAW en anglais) est un outil décisif, qui permettra de faire pression sur les États pour instaurer un véritable changement.

Le 19 juillet 1979, une centaine de Femmes autochtones et d’enfants de la Première Nation de Tobique, au Canada, entreprirent une marche de protestation de 160 km qui attira l’attention des foules. Munies de panneaux et de banderoles rouges, ces femmes déterminées traversèrent lacs, forêts et rivières, depuis Kanesatake jusqu’au parlement canadien, à Ottawa, afin de dénoncer les mesures discriminatoires à l’égard des Femmes autochtones contenues dans une loi canadienne connue comme la Loi sur les Indiens. Cette loi du XIXe siècle prévoyait que si une Femme autochtone se mariait avec un homme n’appartenant pas à un Peuple autochtone, cette dernière et ses enfants perdaient leur « statut d’Indien ».

Parmi les participantes à cette marche historique figurait la petite Lea Nicholas, qui accompagnait sa mère, militante politique de l’organisation Indian Rights for Indian Women. Ce fut son premier combat pour les droits des femmes. « Je me souviens avoir été inspirée par ces femmes courageuses qui s’employaient à éveiller les consciences », explique-t-elle.

Les manifestantes obtinrent que le ministre des Affaires indiennes du Canada entame un dialogue avec elles en tant qu’actrices politiques, une issue surprenante à l’époque. Finalement, en 1985, elles parvinrent à faire voter un amendement pour modifier la Loi sur les Indiens. Dès son plus jeune âge, Lea apprit qu’en s’unissant pour défendre les droits individuels et collectifs des Femmes autochtones, il était possible de réussir. L’ensemble de ses activités politiques tant aux niveaux national qu’international lui ont valu le surnom de « Princesse Guerrière ».

La Première Nation Wəlastəkwey du Canada

Lea a grandi au milieu des arbres, de la neige et des rivières gelées, parmi ses cousins et cousines, ses oncles et tantes. Elle passait ses journées au cœur d’une nature luxuriante, occupée à attraper des lapins, à se promener en raquettes ou à récolter le célèbre sirop d’érable. Cependant, derrière ce tableau idyllique se cache une autre réalité, celle de la pauvreté, du manque d’opportunités et des spoliations dont est victime le peuple Wəlastəkwey (dont les membres sont également appelés Malécites) auquel appartient Lea.

Le peuple Wəlastəkwey fait partie des Premières Nations du Canada, composées de 635 communautés, représentant plus de 50 nations et groupes linguistiques distincts. Son nom renvoie à la belle rivière Wəlastəkw et souligne le rapport qu’entretiennent les membres de cette communauté avec leur espace naturel. Avant la colonisation, ils vivaient géographiquement entre le Québec, le Nouveau Brunswick et le Maine. « C’était notre territoire mais les colons y établirent des frontières. Ils ne reconnaissaient aucune terre ni territoire Wəlastəkwey », explique Lea. La Grande-Bretagne conclut des Traités de paix et d’amitié avec les Peuples autochtones du Canada en 1725 et 1779. Néanmoins, ces Traités ne furent que peu respectés. Les Britanniques continuèrent à avoir recours à des pratiques coloniales qui perpétuaient la déshumanisation des Peuples autochtones. « Ils n’ont cependant pas réussi à nous éliminer complètement », souligne Lea.

Le pouvoir de l’éducation : une histoire tragique pour les Peuples autochtones du Canada

Pour la famille Nicholas, l’éducation était indispensable. Bien que la grand-mère Nicholas n’ait pas eu l’opportunité de fréquenter l’école hors de la réserve, elle s’est battue pour que ses enfants et grands-enfants aient cette chance. À cette époque, un tel niveau d’éducation parmi les familles autochtones était tout à fait inhabituel, puisque la Loi sur les Indiens avait mis en place un système éducatif à destination des enfants autochtones visant l’assimilation et le génocide culturel.

Entre 1894 et 1947, la fréquentation de ces pensionnats indiens était obligatoire. Il s’agit d’une des périodes les plus sombres de l’histoire du Canada. De nombreuses violences physiques, psychologiques et sexuelles ont été répertoriées et on estime entre 10 000 et 50 000 le nombre de garçons et de filles autochtones disparus. Au mois de septembre 2021, plus de 1 300 corps ont été découverts dans des fosses communes à proximité de cinq de ces pensionnats.

Lea MacKenzie a fréquenté un externat indien. « Il y avait beaucoup de maltraitance, à l’image de ce qui se passait dans les pensionnats. Par exemple, nous n’avions pas le droit de parler notre langue. Mais, au moins, le soir, nous rentrions dans nos familles », explique-t-elle. Pour ces raisons, Lea estime que l’accès à l’éducation est important mais que celle-ci ne peut s’exercer sans contrôle.

L’expérience du peuple Micmac de Nouvelle-Écosse illustre le fait qu’une éducation interculturelle peut parfaitement permettre le développement des communautés autochtones. Depuis 1999, une loi y est en vigueur concédant au peuple Micmac un pouvoir de décision en matière de langue, d’histoire, d’identité et de contenu éducatif. Ce système permet que le taux d’obtention de diplômes en fin de scolarité, en ce qui concerne les jeunes autochtones, soit de 90 % dans cette province, quand il se situe aux alentours de 40 %, voire 25 % dans les pires cas, ailleurs dans le pays.

De la scène politique nationale à la scène internationale

Grâce à son éducation et à un diplôme en langue française et linguistique, Lea a quitté sa communauté en quête de nouvelles opportunités. Le prix à payer consistait à vivre loin de ses racines. Le premier poste qu’elle a occupé était aux Affaires indiennes du Canada, dans la division Territoires et environnement. Elle affirme que cela lui a donné l’occasion de connaître le système de l’intérieur, bien qu’elle n’ait pas eu de latitude pour changer celui-ci. « J’étais trop jeune et je ne savais pas comment défendre les droits des Peuples autochtones au sein d’un système qui oeuvre contre eux. Je suis donc partie ».

Elle a ensuite occupé le poste de chef de cabinet à l’Assemblée des Premières Nations. « C’est alors que je suis devenue une véritable militante », confie-t-elle. En 1998 elle participe à la session annuelle de la Commission de la condition de la femme à New York. « Nous ignorions comment nous servir des Nations Unies pour faire avancer nos droits. Il y avait seulement trois Femmes autochtones participant, et nous avons à peine pu prendre la parole. Nous avons souffert de discrimination de la part de plusieurs personnes du mouvement féministe, et cela nous a permis de nous rendre compte qu’il était important de faire entendre notre propre voix », explique-t-elle.

Lors de cet événement, Tarcila Rivera Zea, dirigeante autochtone Quechua du Pérou et actuelle présidente du FIMI, l’invita à organiser la réunion préparatoire de Beijing +5. Lea et le reste de l’équipe parvinrent à réunir une centaine de Femmes autochtones à New York et à les former à l’utilisation des instruments des Nations Unies, en vue de faire entendre leurs voix et de promouvoir leurs droits. C’est à cette occasion qu’est née l’École internationale de leadership des Femmes autochtones du FIMI, qui en est déjà à sa neuvième édition.

Les recommandations pour faire entendre nos voix

Vingt ans après cet événement historique, le mouvement mondial des Femmes autochtones a permis d’envisager une Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones. Même s’il existe déjà des instruments des Nations Unies qui garantissent les droits des Peuples autochtones, les droits fondamentaux des Peuples autochtones doivent être intégrés dans tous les instruments, y compris dans les conventions comme la CEDEF. « Les femmes autochtones pourront se servir de cette Recommandation pour défendre leurs droits au niveau national ; c’est pour cela qu’elle est si importante », conclut-elle.

Cependant, il n’a pas été évident de se faire une place dans ces instances de prise de décisions, dans lesquelles les Femmes autochtones ne sont pas les bienvenues. « Nous devons entrer en scène comme le faisaient nos ancêtres qui ont combattu pour nos droits. En leur nom, je me sens capable de relever chaque défi qui se présente », explique-t-elle.

Selon Lea, il est important de faire preuve de courage, bien que cela ne signifie pas « ne pas avoir peur mais plutôt faire en sorte que la peur ne nous immobilise pas ». Après des années d’activité politique aux niveaux local, national et international, Lea a trouvé la meilleure parade pour être entendue à la table des négociations : apporter des solutions. « Il faut être persuasive, non pas agressive. Taper du poing sur la table ne sert à rien. Face à un problème, la meilleure réaction est de proposer une façon de le résoudre », conclut-elle.

Défenseuses de la terre, gardiennes de la culture et de l’identité des Peuples autochtones

Les Femmes autochtones sont criminalisées pour défendre les terres de leurs communautés face aux actes de spoliation et d’exploitation perpétrés par les États et les entreprises. La Recommandation générale du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF, ou CEDAW en anglais) prévoit un cadre juridique protégeant les Femmes autochtones et garantissant leurs droits à la terre.

Dès son plus jeune âge, Joan Carling, dirigeante autochtone des Philippines, a compris que la relation qu’entretiennent les Peuples autochtones avec la terre était particulière. Joan a grandi dans une communauté mixte composée de familles autochtones et non autochtones. Elle a donc pu observer les différences entre sa communauté et le reste de la société philippine. Pour le peuple Kankana-ey Igorot , une communauté autochtone établie au nord de la Cordillère des Philippines, dont elle fait partie, la terre est une propriété collective qui se transmet tant par les hommes que par les femmes. Les forêts sont gérées par des règles collectives et l’entraide est de mise lors des périodes de crise. La terre n’est pas qu’une simple ressource naturelle ou une marchandise : il s’agit du fondement de la culture, de l’identité, du bien-être et de la cohésion de la communauté, une conception commune à tous les Peuples autochtones, de l’Amérique jusqu’en Asie.

Lorsqu’elle était enfant, la forêt de pins était le terrain de jeux de Joan Carling. « Dans mon enfance, on jouait dans les arbres, on ramassait des pommes de pin pour en extraire les pignons pour la pépinière communautaire, et les jours de pluie on allait aux champignons », explique-t-elle du ton de celle qui se remémore des temps heureux. Mais elle se rendit rapidement compte que, si elle ne luttait pas pour défendre la terre, ses gardiens traditionnels en seraient dépossédés, puisque sa communauté vivait dans une région riche en or. La compagnie qui exploitait la forêt où elle avait grandi procéda à l’expropriation d’une parcelle de terre collective en vue d’en extraire de l’or et du cuivre. La terre s’en trouva anéantie : les eaux souterraines et les rivières furent polluées et le terrain qui avait été retourné par l’industrie minière devint instable.

Lorsqu’elle était étudiante, Joan Carling a passé deux mois d’été au sein des villages tribaux du peuple Kalinga, qui a su défendre ses terres contre la construction de quatre barrages hydro-électriques qui menaçait de détruire son mode de vie. Bien que du sang ait été versé et que des Autochtones aient été jetés en prison, la résistance a finalement porté ses fruits et le peuple Kalinga est parvenu à arrêter la construction du barrage. Cet évènement a marqué un tournant dans la défense des droits fonciers des Peuples autochtones aux Philippines, en donnant la preuve qu’on obtient des résultats en luttant ensemble avec détermination.

Voilà désormais plus de 20 ans que Joan Carling défend les droits de la personne et les droits des Peuples autochtones, non seulement aux Philippines, mais dans toute l’Asie et au niveau international. Son parcours lui a valu de recevoir en 2018 le prix Jeunes Champions de la Terre, la récompense la plus importante des Nations Unies dans le domaine de l’environnement. Afin de défendre efficacement la terre, Joan Carling conseille de se doter d’une bonne organisation communautaire, d’inclure des femmes parmi les leaders, de créer des alliances avec différents acteurs (des communautés, des universitaires, des autorités locales) et d’interdire l’accès des entreprises aux terres des Peuples autochtones. « Une fois qu’elles sont sur place, cela devient beaucoup plus compliqué de les déloger », prévient-elle.

La lutte menée par le peuple Amazigh en faveur des terres collectives au Maroc

Au Maroc, Amina Amharech, militante  autochtone Amazigh, fait face aux derniers assauts du gouvernement marocain contre la notion de terre collective du peuple Amazigh et le non-respect de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones. En 2019, trois lois ont été adoptées qui mettent fin au caractère inaliénable qui protégeait jusqu’alors les terres collectives au Maroc en interdisait la vente, la cession ou la location. Seul l’État était autorisé à acquérir la terre si cela servait de façon avérée l’intérêt général. Le peuple Amazigh, également connu sous le nom de Berbère, est le Peuple autochtone de  l’Afrique du Nord, de Siwa en Égypte, aux Îles Canaries et possèdent leur propre langue, culture et identité 

Selon Amina, ces lois traduisent la volonté manifeste de l’État d’usurper les terres collectives, qui demeurent encore majoritaires dans le pays et représentent la majorité de l’assiette foncière nationale . « Les Français ont éliminé le droit foncier coutumier des Amazigh, l’Izarfan, qui garantissait à tous un accès équitable à la terre et aux ressources naturelles. Cependant, les colons ne sont pas parvenus à mettre fin définitivement à la relation qu’entretiennent les Amazigh avec la terre. Nous conservons des formes de gouvernance communautaire, des processus de décision inclusifs et équitables pour toutes et tous   et des méthodes permettant d’atteindre la souveraineté alimentaire » explique Amina. En abrogeant les lois du protectorat français de 1919, l’État marocain a encore aggravé la dépossession des terres dont sont victimes les Peuples autochtones et qui les fragilisent encore sous les effets du changement climatique en les empêchant d’atteindre les ODD.

Les fondements de la culture Amazigh : les femmes, la langue et le territoire

Amina établit un lien entre la nouvelle législation relative aux terres collectives et le projet d’arabisation intégriste qui tend à porter atteinte au leadership des femmes Amazigh au sein de leurs communautés. « Dans mon enfance, les femmes étaient très présentes. J’ai observé la façon dont elles pouvaient exprimer leurs opinions et participer aux débats sans subir de discrimination. Elles sont au cœur de la famille et de la communauté ; elles prennent soin des enfants et du foyer tout en préservant la terre et les savoirs ancestraux », rapporte Amina. Le mot Tamazigh désigne à la fois la langue, le territoire et la femme. C’est un terme hautement symbolique dans la cosmovision Amazigh, qui fait référence à la structure matrilinéaire de ce peuple. Cependant, l’ascension de l’Islamisme radical, dans les années 1980, a eu des répercussions négatives sur les libertés et la position sociale des femmes au Maroc.

Ce caractère patriarcal s’est notamment observé dans les réactions qu’ont suscitées la mise en place des nouvelles lois en matière foncière. En modifiant le nom de « Terres Collectives » à « Terres soulaliyates » ( Soulaliyates : mot arabe  qui signifie «  descendantes »), l’État marocain a semé la discorde entre les hommes et les femmes puisque ces derniers pensent que ce sont uniquement les femmes qui vont bénéficier de ces terres. Cependant, la réalité est tout autre. « Voilà les conséquences d’un simple changement de nom, cela montre bien la position de faiblesse dans laquelle se trouvent les femmes en matière foncière », souligne Amina. Cependant , dans la réalité, les seuls qui pourront désormais s accaparer de ces terres se sont les investisseurs privés et une certaines oligarchie favorisés par la force des  lois adoptées  

La criminalisation des défenseuses de la terre

Joan Carling et Amina Amharech ont pris des risques importants pour défendre les terres des Peuples autochtones contre les actes d’expropriation menés par les États ou les entreprises de l’industrie extractive. Lorsque Carling Joan travaillait pour Cordillera People’s Alliance, elle fut qualifiée de terroriste avec d’autres militantes. À cette époque, elle fit l’objet de nombreuses menaces et quatre de ses camarades furent assassinés. Sa vie et celle de sa famille étaient soumises à une telle pression qu’elle décida en 2006 de faire une pause et de s’extraire du terrain grâce au Programme de bourses de la Fondation Oak pour les droits humains.

Amina Amharech, quant à elle, a fait personnellement l’expérience de la corruption des institutions étatiques  marocaines puisque sa famille/communauté,  et en prise, depuis des années, avec l’administration des domaines de l’Etat qui fait tout pour les exproprier en raison de leur appartenance au peuple Amazigh. En portant l’affaire devant les tribunaux, elle a été confrontée à une autre corruption : celle du système judiciaire puisque l’amicale Hassania des juges du Maroc a jeté son dévolu sur une partie de ces mêmes terres et qui font partie du Titre Foncier 1683K.  Aujourd’hui, il existe au Maroc une Mafia du Foncier qui visent toutes les terres Amazigh qu’elles soient  collectives ou privées. Ni les lois, ni la Justice ne sont faites pour protéger le Droit des Amazigh à leur terre, à leurs territoires et à leurs ressources naturelles, et il est très difficile, voir impossible de trouver des avocats spécialisés en la matière et qui n’ont pas peur de se mettre en avant dans ce genre d’affaires.

À chaque manifestation du peuple Amazigh, les dirigeants sont arrêtés et emprisonnés. « Rien ne nous protège. C’est la raison pour laquelle je me suis tournée vers les instances internationales », explique Amina. Après avoir participé au programme de bourses des Nations Unies destinées aux autochtones, elle est devenue une pionnière de la lutte du peuple Amazigh auprès des Nations Unies.

Un nouveau cadre juridique pour défendre l’accès à la terre des Femmes autochtones

Amina considère que la Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones est une opportunité pour protéger les droits de son peuple, notamment ceux des femmes, auxquels l’État porte atteinte de façon délibérée. Néanmoins, elle souligne qu’un travail préalable de diffusion et de sensibilisation doit être mené pour que le contenu de la Recommandation parvienne jusqu’aux communautés. « Les femmes doivent apprendre à recourir à ces mécanismes », affirme-t-elle.

Selon Joan Carling, actuelle directrice générale de l’Internationale des droits des peuples autochtones (IPRI),  le risque est que la Recommandation demeure lettre morte. Afin d’éviter cette situation, il faudrait mettre en place un système de reddition de compte et permettre aux États d’appliquer des sanctions à ceux qui portent atteinte aux droits humains. En tout état de cause, la Recommandation générale de la CEDEF marque un tournant dans l’histoire des droits des Femmes et des Filles autochtones à la terre. Le prochain défi consistera à la mettre en œuvre. 

La Recommandation 39 du Comité de la CEDEF est une proposition des Femmes autochtones pour l’humanité dans son ensemble

Dix-huit ans se sont écoulés depuis que l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones a présenté une recommandation au Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) pour qu’il observe les spécificités des Femmes autochtones.

Nous avons travaillé à tous les niveaux depuis 2004, du local à l’international, pour en arriver à la 82e séance du Comité de la CEDEF à Genève en 2022. Nous avons survécu à une pandémie et aux adversités d’un système mondialisé pour dialoguer avec le Comité spécialisé de la CEDEF et faire la première lecture de l’ébauche de la Recommandation 39 qui inclut nos contributions.

Le processus mené par le mouvement des Femmes autochtones auprès de la CEDEF représente un exemple de comment mener des consultations et rédiger une recommandation pour inclure la réalité et les voix des Femmes autochtones dans le monde. Ce sont 30 leaders  Femmes autochtones, représentantes des sept régions socioculturelles du monde, qui se sont rendues jusqu’au cœur du système des Nations Unies, à Genève, avec la proposition de pouvoir bénéficier  d’une vie sans violence ni discrimination. 

Movimiento de Mujeres Indígenas

La recommandation 39 est une proposition universelle, car elle engage l’humanité tout entière. Elle couvre des sujets comme les violences basées sur le  genre contre les Femmes et les Filles autochtones, les changements climatiques, la pollution de l’eau, de la terre et de l’air, l’énergie durable et propre, l’alimentation, l’égalité des genres, les enjeux de migration, les conflits armés, la santé et l’éducation, entre autres.

La stratégie de travail au sein de cet espace a commencé par une réunion de coordination de la délégation. Nous avons discuté et défini les questions clés à aborder avec le Comité spécialisé de la CEDEF. 

« Pour comprendre l’enjeu des droits des Femmes autochtones, il faut d’abord changer de peau. Il nous faut laisser derrière ce que nous avons appris à l’école et dans les médias pour réapprendre où va le monde », explique Gladys Acosta, présidente du Comité de la CEDEF, soulignant que c’est pour donner réponse à une dette historique envers nous que le Comité s’est engagé à reconnaître les contributions des Femmes autochtones et à adopter la Recommandation 39 en octobre 2022.

 

Mujeres Indígenas

« La recommandation doit être interprétée à la lumière de la vision du monde et de la spiritualité des Peuples autochtones. Elle a été rédigée par des Femmes autochtones pour la reconnaissance à l’ONU de leurs droits individuels et collectifs. » Gladys Acosta, présidente du Comité de la CEDAW

 

Pour que les Femmes autochtones puissent vivre dans la dignité et sans discrimination, il est important de générer des synergies, affirme Victoria Tauli Corpuz, du peuple Igorot des Philippines, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones de 2014 à 2020. Pour y arriver, il est important d’établir des dialogues entre les gouvernements, les entreprises, la population générale, les organisations non gouvernementales et les établissements d’enseignement. 

Le dialogue mené entre les Femmes autochtones et les experts et expertes du Comité a porté sur la reconnaissance des deux parties, réunissant les contributions de toutes les personnes impliquées. 

La recommandation générale est vue d’un bon œil dans la région samie, qui comprend la Suède, la Norvège, la Finlande et la Russie. Ragnhild Marit Sara, Samie de Norvège, explique qu’elle veille sur la terre en contribuant à une prise de conscience pour mettre fin aux investissements pour l’extraction de minéraux et l’énergie éolienne. Ces projets menacent les droits fonciers et la culture des Samis, car ils ont un impact sur les pâturages des rennes.

Alicia Limtiaco, femme chamoru de Guam, a invité les personnes présentes à soutenir cette recommandation afin que les gouvernements libèrent des fonds pour la mise en place de politiques et de programmes publics pour faire face à la crise climatique, car dès 2040 les Femmes autochtones insulaires et leurs familles seront parmi les premières réfugiées climatiques en raison de la montée des eaux. 

Cette Recommandation aura un impact très important sur le vécu des jeunes autochtones du monde entier, car la traite et les violences sont liées à l’exploitation et à l’extractivisme. Les groupes armés forment des alliances avec les gouvernements et les forces publiques, a déclaré Lizbeidy Monterrosa de la Colombie.

Mujeres Indígenas

Esupat Ngulupa Laizer, Maasaïe de Tanzanie, convient que la Recommandation protégera les Femmes autochtones d’Afrique contre les mutilations génitales. Les jeunes femmes de 12 à 15 ans souffrent de graves dommages à leur santé mentale et physique en raison de cette pratique.

D’après Lucy Mulenkei, Maasaïe du Kenya, vice-présidente du FIMI et directrice générale du réseau Indigenous Information Network, la Recommandation générale ouvrira la porte à la reconnaissance des Peuples autochtones suivant le principe d’autodétermination, étant donné que de nombreux États membres ne reconnaissent pas les Peuples autochtones en Afrique.

Comme l’explique l’ambassadeur des Pays-Bas Paul Bekkers, des actions doivent être menées autour des trois axes suivants pour arriver à mettre en œuvre la Recommandation : 1. Politiques féministes 2. Financement pour créer des mouvements forts. 3. Volonté diplomatique de promouvoir un programme d’égalité de genre, avec la possibilité d’y inclure différentes coalitions.

« Le principe d’indivisibilité des droits est fondamental. Toute violence affecte les Filles et les Femmes autochtones. Nous avons de nombreuses recommandations, mais nous continuons de suivre de près les actions en attente des différents pays, car nous savons bien que le défi demeure la mise en œuvre effective », explique Tarcila Rivera Zea, femme quechua présidente du Forum international des Femmes autochtones (FIMI).

Mujeres Indígenas

Avec les réalisations de la 82e séance de la CEDEF, nous faisons honneur aux luttes, aux principes et à tout le chemin parcouru par les Femmes autochtones qui nous ont précédées dans leur quête d’égalité. Aujourd’hui, c’est à nous de prendre le relais sur la voie qui mène au bien vivre de nos peuples et de relever le défi de la mise en œuvre de la Recommandation. 

Mujeres Indígenas

Consultation régionale d’Abya Yala sur la Recommandation générale de la CEDEF

En l’espace d’une décennie, les femmes autochtones ont élaboré une stratégie comportant des actions aux niveaux local, régional et mondial pour mettre fin aux violences qu’elles subissent, et de ce fait, au racisme et à la discrimination. La première réunion régionale entre des expertes des Amériques (Abya Yala), des membres du Comité de la CEDEF (CEDAW en anglais), ainsi que des représentants d’ONU-Femmes, de l’UNICEF et du gouvernement s’est tenue au Mexique les 19 et 20 mai 2022.

Légende : Consultation régionale des Amériques sur le projet de Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des femmes et des filles autochtones. Tlaxcala, Mexique, 19-20 de mayo de 2022

Une cinquantaine de femmes autochtones, provenant de 42 peuples autochtones de 22 pays, ont évoqué les défis auxquels elles sont confrontées dans leurs communautés. Elles ont également discuté de la manière dont la Recommandation nº 39 obligera les 189 États membres des Nations Unies à combler le fossé entre le contenu théorique de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les violations que nous subissons dans les faits dans tous les pays.

Gladys Acosta, Presidenta del Comité CEDAW

La Recommandation générale nous donne l’espoir que les lois et conventions  seront respectées et garantissent de meilleures conditions de vie pour les filles et les jeunes autochtones. Cette Recommandation est actuellement mise au point à travers des consultations et des dialogues tenus avec des femmes autochtones de différentes régions du monde. Cette démarche permet d’enrichir cet outil stratégique, tout en élargissant la vision de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF/CEDAW).

Teresa Zapeta, Directora Ejecutiva FIMI 

En octobre prochain, la Recommandation générale nº 39 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes sera adoptée.

Marion Bethel, Experta del Comité de la CEDAW

Les femmes autochtones font entendre leur voix et présentent leurs contributions à la prochaine Recommandation générale nº 39 de la CEDAW sur les droits des femmes et des filles autochtones

17 mars 2022.- L’événement parallèle qui s’est tenu aujourd’hui dans le cadre de la 66e session de la Commission de la condition de la femme (CSW66), intitulé « Contributions à la prochaine Recommandation générale de la CEDAW sur les femmes et les filles autochtones », a été coparrainé par l’Institut national des femmes du gouvernement du Mexique, le Forum international des femmes autochtones (FIMI) et l’ONU Femmes.

Cet événement avait pour vocation de dynamiser le processus de consultation relatif à l’adoption de la Recommandation générale de la CEDAW. Il visait également à promouvoir une approche transversale dans les politiques et les programmes consacrés au changement climatique, à l’environnement et à la réduction des risques de catastrophe, en vue d’accélérer la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing et la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 avec une perspective de genre. 

L’événement a réuni des femmes autochtones de différentes régions du monde qui, à partir de leur propre expérience et de leur cosmovision, ont réfléchi à la manière de faire de cette Recommandation générale un instrument efficace pour promouvoir et protéger les droits individuels et collectifs des femmes autochtones, tout en contribuant à leur autonomisation dans leurs communautés et dans la société en général. Les conclusions de cette réflexion sont appelées à étayer la rédaction de la Recommandation générale et à donner le ton du prochain processus de consultation en tenant compte des aspirations communes. 

L’événement a débuté par une cérémonie spirituelle dirigée par Jandi Craig, autochtone Montaña Blanca Apache et Xicana, défenseuse des droits humains et boursière autochtone du HCDH, à laquelle ont participé Nadine Gasman, présidente de l’Institut national des femmes (INMUJERES[AL1] ) du Mexique ; Miriam Huacani, vice-ministre de l’Égalité des chances, ministère de la Justice et de la Transparence institutionnelle de l’État plurinational de Bolivie ; Maria Noel Vaeza, directrice régionale de l’ONU Femmes pour les Amériques et les Caraïbes ; Belén Sanz, représentante de l’ONU Femmes au Mexique ; Tarcila Rivera Zea, présidente du FIMI ; Gladys Acosta, présidente du Comité CEDAW ; Sara Mux, du Collectif Ixpop au Guatemala ; Faith Nataya Saningo, de l’Olorukoti Resource and Knowledge Centre au Kenya ; Eleanor Dictaan-Bang-oa, de l’Asian Indigenous Women’s Network (AIWN) aux Philippines et Teresa Zapeta, directrice générale du FIMI. Cette rencontre a été animée par Elvira Pablo Antonio, responsable de la politique et de l’engagement de Girls Not Brides pour l’Amérique latine et les Caraïbes et membre de l’ancien groupe de travail Jeunesse Génération Égalité.

La présidente de l’Institut national des femmes du gouvernement mexicain, Nadine Gasman, a souligné que le Mexique considère que « l’adoption de la Recommandation générale 39 sur les droits des femmes et des filles autochtones est indispensable, car elle fournit des orientations aux États quant aux mesures législatives, politiques, sociales et culturelles qu’ils doivent prendre pour garantir la protection de ces droits ». Comme elle le souligne par ailleurs, « au Mexique, nous avons suivi de près le processus de rédaction de cette Recommandation générale, en cherchant à donner la priorité aux opinions des femmes et des filles autochtones en tant que protagonistes et leaders aussi bien au sein de leurs communautés qu’en dehors de celles-ci ».

Pour sa part, la représentante de l’ONU Femmes au Mexique, Belén Sanz, a réaffirmé que « l’ONU Femmes, aux côtés du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, s’efforcera de soutenir les consultations régionales, en particulier celle qui aura lieu au Mexique, où nous sommes sûres de recueillir un large éventail de points de vue qui viendront éclairer cette Recommandation générale ». Elle a en outre insisté sur « l’importance de la dimension individuelle et collective des droits des femmes autochtones, des droits liés aux ressources naturelles, à l’eau, au territoire et à la terre, et bien sûr, de la corrélation entre tous les droits que cette nouvelle Recommandation générale est appelée à reconnaître ».

Tarcila Rivera Zea, Quechua du Pérou, a rappelé que « nous avons entamé le processus devant aboutir à la Recommandation générale en 2004 lors de l’Instance permanente sur les questions autochtones, en tenant compte du fait que les femmes et les filles autochtones présentent certaines spécificités du fait de leur origine ethnique et des multiples formes de violence dont elles font l’objet ». Elle a souligné que « nous espérons que cette Recommandation générale sera éthiquement, moralement et politiquement contraignante pour les États membres, et que les femmes handicapées soient dûment prises en compte dans cette Recommandation, à l’instar de toutes nos diversités ».

Sara Mux, Maya Kaqchikel du Guatemala, a souligné que « cette Recommandation sera un instrument clé, car elle contribuera à une interprétation des droits humains reposant sur une optique interculturelle et décolonisatrice ». Elle a mis en avant le fait que « la Recommandation contraindra les États à rendre des comptes et nous permettra de changer la donne, en remédiant à l’invisibilité et aux inégalités auxquelles nous sommes condamnées en tant que femmes autochtones »

Faith Nataya Saningo, Maasai du Kenya, a fait valoir que cette Recommandation générale est synonyme de justice pour plusieurs communautés, dans la mesure où « il est nécessaire de reconnaître les peuples autochtones et de mettre en œuvre des mesures concrètes pour garantir nos droits ».  Dans le même ordre d’idées, Eleanor Dictaan-Bang-oa, Kankanaey Igorot des Philippines, a réaffirmé le besoin pressant d’éliminer les causes d’exploitation et de discrimination à l’égard des femmes autochtones, tel qu’évoqué dans un appel qu’elle a remis au Comité CEDAW, en espérant que ces observations soient prises en compte de manière systématique. 

Teresa Zapeta Mendoza, Maya K’iche du Guatemala, a reconnu l’intérêt des précieuses alliances qui ont été conclues pour parvenir à une recommandation historique et stratégique, en mesure d’apporter réparation aux méfaits du colonialisme et des inégalités dans les sept régions du monde.  Elle a annoncé que, grâce aux efforts collectifs déployés, un site web sera lancé le 25 mars pour favoriser les échanges et approfondir les informations. Dans ses mots de conclusion, elle a déploré l’absence de prédisposition globale des États au dialogue. En effet, les États sont encore relativement distants des peuples autochtones. C’est pourquoi il est important que les femmes autochtones restent unies, car l’union fait la force.

Gabriel Muyuy Jacanamejoy, secrétaire technique du Fonds pour le développement des peuples autochtones d’Amérique latine et des Caraïbes (FILAC), a pour sa part déclaré que la Recommandation générale constituait un jalon historique, non seulement pour les femmes et les filles autochtones, mais aussi pour les droits fondamentaux des peuples autochtones du monde entier : « le FILAC continuera à travailler pour garantir le respect des droits des femmes et des filles de nos peuples autochtones ».

Miriam Huacani, vice-ministre de l’Égalité des chances, du ministère de la Justice et de la Transparence institutionnelle de l’État plurinational de Bolivie, a souligné qu’il était important de reconnaître les défis en suspens et d’aller de l’avant avec la société civile et les différents organes gouvernementaux. Elle a également admis que les gouvernements doivent prendre les devants dans la lutte contre la violence. 

Dans son allocution de clôture, la directrice régionale de l’ONU Femmes pour les Amériques et les Caraïbes, María Noel Vaeza, a déclaré que cette « Recommandation générale doit inciter les États à inclure, dans leur législation, leurs budgets et leurs programmes nationaux, des mesures visant à garantir le plein exercice des droits des femmes autochtones, en tenant compte de l’intersectionnalité de ces droits et en reconnaissant les contributions de ces femmes au développement des peuples et à la conservation de notre grande maison commune, à savoir la planète Terre ».

Les préoccupations relatives aux droits fondamentaux des femmes autochtones ont pris de l’ampleur dans les débats internationaux sur l’environnement, la culture et le développement. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007, établit une série de normes internationales et fournit une base fondamentale pour bâtir des sociétés capables de garantir la pleine égalité et les droits des peuples autochtones. 

Les droits des femmes autochtones sont protégés par la Déclaration universelle des droits humains, ainsi que par les pactes et traités internationaux ultérieurs relatifs aux droits humains, dans lesquels le sexe et la race figurent parmi les aspects à prendre en compte dans la protection du droit à l’égalité, en tant que motifs de discrimination. Pourtant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) est à ce jour le seul instrument international juridiquement contraignant qui protège spécifiquement les droits des femmes, y compris ceux des femmes autochtones. La prochaine Recommandation générale de la CEDAW offre une occasion unique d’intégrer dans cet instrument les priorités collectives, la vision du monde, les expériences et les leçons partagées par les femmes autochtones en vue de susciter un changement transformateur et de garantir la préservation des différentes cultures qui sont l’incarnation de leur identité, de leur survie et de leur développement.La retransmission de cet événement est disponible à travers ce lien


 [AL1]Falta la “J” en el original