Les Femmes autochtones sont confrontées à différentes formes de violence issues de la spoliation et de la dégradation du tissu social de leurs communautés. La solution apportée par la Recommandation générale de la CEDEF (CEDAW en anglais) sur les droits des Femmes et des Filles autochtones a un caractère global, transversal et intersectionnel.
Dix années ont été nécessaires à Helena Steenkamp pour trouver le courage de reconnaître qu’elle avait été victime d’un viol au sein de sa communauté. Son agresseur venait de l’extérieur de la communauté pour travailler, et il a fallu six ans avant qu’il ne soit poursuivi en justice. Dans la communauté autochtone ‡Khomani San, qui vit sur les terres désertiques du Kalahari, à la frontière entre l’Afrique du Sud et le Botswana, la situation d’Helena n’est pas une exception mais la règle. La dégradation du tissu social, générée par des expulsions récurrentes et des années de spoliation des terres ancestrales, donne lieu à un contexte violent dont les Femmes et les Filles autochtones font les frais dans leur propre chair. Les femmes San subissent différentes formes de discrimination et de violence au sein et en dehors de leurs communautés, exercées par des hommes qui souhaitent les priver de voix et de pouvoir. Mais face à des agresseurs omniprésents jusque chez elle, comment une femme peut-elle se protéger ?
Au sein de la communauté, ce sont la peur de reconnaître publiquement d’avoir été abusée sexuellement et la crainte de perdre la sécurité alimentaire assurée par le mari qui empêchent les femmes de dénoncer les affaires aux autorités. « Pour pouvoir aborder ce sujet, un processus d’introspection s’impose, et il est nécessaire de s’armer de courage », indique Helena. « Cela m’a pris beaucoup de temps de redevenir moi-même et de prendre confiance en moi », ajoute-t-elle. Elle a réussi à surmonter ce traumatisme en puisant ses forces dans la volonté d’éveiller sa communauté et de s’imposer dans un espace dominé par les hommes. « Si nous, les femmes, ne prenons aucune initiative, les choses ne changeront pas d’un pouce », conclut-elle.
La Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones garantit un cadre légal dont on peut se saisir face à l’inaction des États, ainsi qu’observé en Afrique du Sud. Néanmoins, Helena Steenkamp reconnaît que, dans un premier temps, les femmes doivent devenir plus autonomes, connaître leurs droits et apprendre à se servir de ces instruments internationaux pour susciter un changement réel, qui mette fin à la discrimination et aux violences exercées à l’encontre des Femmes autochtones.
Le peuple San : une histoire de spoliation territoriale et culturelle
Le peuple San, dont fait partie Helena, provient des communautés ancestrales de chasseurs-cueilleurs réputées pour avoir été les premières à s’établir à la pointe du continent africain, également connues sous le nom de Bushmen (hommes des arbustes). En raison de la migration d’autres peuples tels que les Khoïkhoï ou les Bantou, le peuple San a été repoussé vers des contrées plus reculées et désertiques, bien que cette situation ait donné lieu à certains mélanges entre ces différentes communautés.
La colonisation a engendré la spoliation des terres qui abritaient le peuple San et le pillage des ressources naturelles qui assuraient leur subsistance. Cette situation a aiguisé la concurrence et les rivalités au sein même des communautés autochtones, faisant ainsi voler en éclat le tissu social qui liait le peuple San, ses modes de vie et son identité culturelle. Seule une poignée de communautés ont survécu, et le peuple San a failli ne pas en réchapper.
Les violences sont le fruit des blessures du passé
De nos jours, les communautés San ont perdu leur nom d’origine et il ne reste plus que cinq individus à parler la langue de leurs ancêtres, le N|u. Helena Steenkamp est allée à leur rencontre à l’occasion de la réalisation du documentaire Lost Tongues (Langues perdues). En 1999, les ‡Khomani San sont parvenus à récupérer une partie du territoire dont ils avaient été privés, après un long combat et grâce au nouveau cadre juridique établi par le gouvernement de l’après-apartheid. Néanmoins, la restitution de ce territoire n’a pas donné lieu au changement que chacun espérait.
« Dans un premier temps, nous étions tous heureux d’avoir récupéré notre terre ancestrale. Pour ma part, j’ai quitté mon travail au Cap pour venir m’installer ici, à Andriesvale, avec l’ambition de faire bouger les choses au sein de ma communauté. Mais au cours des 10 dernières années, tout est allé de mal en pis. Dénués de connaissances en matière agricole, nous n’avons pas su travailler la terre », raconte Helena. En raison du fort taux de chômage, du faible niveau d’éducation et de l’incapacité à générer de nouvelles activités économiques, de nombreuses personnes ont sombré dans l’alcoolisme ou la toxicomanie. Certains vont même jusqu’à évoquer l’apartheid comme une période faste durant laquelle il y avait du travail dans les exploitations des blancs et durant laquelle les parents pouvaient emmener leurs enfants à l’école.
Helena a grandi dans un milieu où ses parents se disputaient sans cesse, où la consommation de drogues et d’alcool était très importante et où ses amies connaissaient des grossesses précoces. Ce cycle de la violence s’est perpétué pendant des générations. Afin de tenter d’inverser cette tendance décourageante, Helena et d’autres membres de sa communauté ont réalisé un projet visuel dont le but est de démonter la vision paternaliste et colonialiste que le monde a des communautés autochtones. Conseillée par le Market Photo Workshop, elle a brossé le portrait de jeunes femmes enceintes. « Les filles et les mères ont eu des réactions très positives ; je ne m’y attendais pas. Notre communauté est toujours perçue depuis l’extérieur. Nous recevons en permanence la visite de personnes venues faire des recherches sur nous et nous photographier. C’est la première fois que le récit provenait de l’intérieur de notre communauté », explique-t-elle.
La représentation des communautés autochtones en tant que forme de violence
La dépossession d’identité dont ont été victimes les communautés autochtones s’est traditionnellement accompagnée d’images les diabolisant, les déshumanisant ou les rendant exotiques. Les femmes d’origine caribéenne sont certainement les corps féminins les plus sexualisés de l’histoire. De nos jours, des pays catholiques — héritage du colonialisme missionnaire — interdisent aux femmes de recourir à l’avortement même en cas de malformation ou de risque pour la santé de la mère ; tandis que les chansons les plus en vogue à la radio tendent à chosifier et à sexualiser les femmes.
« L’hypersexualisation de la femme Taïna est une insulte et une menace faite à nos vies », déclare avec fermeté Tai Pelli, dirigeante autochtone de Taïno de Borikén, qui correspond au nom originel de Porto Rico. « Ils s’emparent de symboles que nous considérons sacrés et ils les détournent de façon vulgaire en véhiculant le même sempiternel message qui assimile les femmes caribéennes à des objets de plaisir dont on peut abuser », dénonce-t-elle avec une détermination intraitable.
La colonisation a mis fin à la structure matrilinéaire des peuples Taïno qui octroyait aux femmes une position respectable et l’égalité entre les sexes. « Désormais, les femmes s’inscrivent de nouveau dans cette direction”, ajoute Tai, en évoquant les tribunes qui voient progressivement le jour à l’échelle mondiale pour promouvoir l’égalité des sexes. « Pour y parvenir, nous devons faire entendre nos voix, renouer avec nos racines et valeurs autochtones et fonder un modèle qui rendra celui-ci obsolète », conclut-elle.
Une violence transversale
Contrairement au peuple San, les communautés Taïna, disséminées à travers les grandes et les petites Antilles, n’ont pas récupéré les terres et territoires dont elles avaient été dépossédées par des États impérialistes. Porto Rico constitue l’un des exemples les plus emblématiques puisqu’il demeure encore un « État libre associé » dépendant des États-Unis. « Nous sommes le peuple qui a la plus longue expérience de colonisation, mais nous n’avons pas perdu pour autant notre lien avec la terre », informe Tai.
Certains disent que les Peuples autochtones ne sont personne sans terre. S’il est indéniable que la terre est le fondement de l’identité autochtone – et que les expropriations dont sont victimes les Peuples autochtones engendrent une infinité de violences qui touchent de plein fouet les Femmes et les Filles autochtones –, Tai Pelli défend l’identité et l’organisation communautaire même lorsque les communautés ne disposent plus de leur propre terre. « Bien que nous ne possédions plus de terre, nous continuons à l’aimer et à la défendre contre les violences qu’elle subit. Il faut prendre conscience de cette responsabilité; nous sommes la terre! », conclut-elle. C’est précisément de cette violence transversale, allant de la terre au propre corps, dont tient compte la Recommandation générale de la CEDEF sur les droits des Femmes et des Filles autochtones afin d’y mettre un terme.